Devenir (ou pas) végétarienne ?
Je n’ai rien contre les lectures de plage légères, mais comme je lis peu ces dernières années, j’essaie de choisir des sujets qui m’intéressent profondément. Après le superbe livre sur l’agriculture biologique de Pierrick de Ronne dont je vous parlais le mois dernier, j’avais envie de me confronter à un autre sujet avec Comment j’ai arrêté de manger les animaux d’Hugo Clément.
J’avais déjà écouté son épisode dans le podcast Sur le grill d’Ecotable, qui m’avait éclairée et amenée à réduire ma consommation de viande. À l’époque, j’allaitais et j’ai découvert l’horreur de l’industrie laitière : pour produire du lait, il faut des veaux mais ces veaux sont considérés comme des “déchets” de la filière, séparés de leur mère à la naissance, les mâles le plus souvent envoyés à l’abattoir. Ce contraste m’a frappée : alors que je nourrissais mon bébé, je réalisais qu’on privait d’autres petits de ce lien vital pour que nous, humains, consommions toujours plus de produits laitiers.
Le livre m’a marquée par la manière dont il déconstruit notre regard sur les animaux. J’ai alors pris conscience de ce paradoxe : nous chérissons chiens et chats, nous admirons les dauphins, mais nous négligeons totalement les animaux d’élevage. En France, la maltraitance d’un chien est punie par la loi, tandis que l’élimination des poussins mâles — inutiles à la filière — demeure parfaitement légale, même en bio.
Il était important pour moi de prendre conscience que nous vivons dans une société spéciste, où l’humain se place au-dessus des autres espèces. J’ai grandi dans ce contexte sans le questionner. Lors de mes études de pharmacie, on me disait que les animaux utilisés pour l’expérimentation “étaient nés pour ça”. Aujourd’hui, je ne peux plus accepter cette hiérarchie que je rapproche d’autres systèmes de domination — racisme, patriarcat, adultisme.
Le livre revient ensuite sur l’élevage industriel et les abattoirs. J’en avais déjà connaissance en partie, mais relire ces faits est essentiel pour en mesurer l’ampleur, tant nous sommes bernés par l’image de poulets Loué gambadant dans les prés ou de vaches broutant paisiblement.
L’écrasante majorité de la viande consommée en France provient d’exploitations industrielles qui ressemblent davantage à des usines qu’à des fermes. Ce n’est plus de l’élevage, mais une véritable production d’animaux — comme on produirait des pneus ou des chaussures. À ceci près qu’ici, ce sont des vies que l’on fabrique et détruit à la chaîne : des millions, chaque jour pour nous nourrir. Quand j’y pense, c’est complètement fou.
Ce qui se passe dans les océans n’est guère plus rassurant : avec près de 2500 milliards d’individus tués chaque année, le poisson est l’espèce la plus exploitée au monde. Un véritable pillage silencieux des océans.
Enfin, j’ai beaucoup aimé la nuance apportée sur le mot omnivore. Cela signifie que nous avons la capacité d’adapter notre alimentation : nous pouvons tout manger, mais pas que nous devons tout manger. Dans la nature, la plupart des espèces omnivores consomment principalement du végétal et complètent par de l’animal quand c’est possible.
Évidemment, après une telle lecture, le végétarisme, ou même le véganisme, paraît évident. Mais mon regard de naturopathe ajoute une autre couche de complexité.
Un régime végétarien est souvent bénéfique au début, comme une “détox”, mais mal équilibré sur le long terme, il peut entraîner une perte de vitalité. J’ai vu en consultation des personnes épuisées, avec un équilibre hormonal fragilisé par des carences en protéines. Moi-même, pendant mon allaitement, je n’arrivais pas bien à couvrir mes besoins accrus et je suis tombée malade à répétition chaque hiver (sans doute aussi à cause de la fatigue). Plusieurs amies, après des années de végétarisme, ont réintroduit la viande et constaté moins de fatigue et de perte de cheveux. Je suis également interpellée par le courant de l’alimentation ancestrale, qui défend la viande et les graisses animales. J’ai d’ailleurs envie de lire Le Mythe végétarien de L. Keith pour confronter ces points de vue.
C’est pourquoi j’ai trouvé le livre d’Hugo Clément précieux pour éveiller les consciences sur la cause animale, mais peut être un peu rapide sur la question de la santé. Il cite l’exemple des champions olympiques véganes comme preuve, mais cela ne suffit pas à rendre compte de la complexité du sujet ni de la difficulté pour beaucoup de personnes à modifier leur repas sans les déséquilibrer. Car devenir végétarien, ce n’est pas juste supprimer la viande et le poisson : c’est repenser entièrement son alimentation, réinventer sa façon de cuisiner.
Quoi qu’il en soit, je ne peux que vous recommander de creuser ce sujet. Avant, j’ignorais tout cela et je constate que c’est encore le cas pour beaucoup de personnes. Ouvrir les yeux change nos choix et nous avons un pouvoir immense en tant que consommateurs : l’élevage et la pêche intensifs perdurent tant que nous les achetons, car les pratiques artisanales ne suffiraient jamais à répondre à la demande actuelle.
Je crois qu’il y a un véritable enjeu collectif — éthique, sanitaire et environnemental — à réduire la consommation de produits animaux, y compris laitiers. Chacun le fera à sa manière, diviser par deux aurait déjà un impact énorme ! On peut débattre de l’aspect santé de l’éviction (ou non) des protéines animales. En revanche, je crois qu’il n’y a pas de débat possible sur le caractère destructeur de l’élevage et de la pêche industriels.
Pour l’instant, je ne suis pas contre l’idée de continuer à manger occasionnellement un peu de viande ou de poisson si j’ai l’assurance qu’elle ne provient pas de ces filières. Jusqu’ici, je réservais ce principe à la maison mais à l’extérieur, je le mettais de côté par facilité. Après ce livre, j’ai envie d’assumer d’avantage mes choix partout.
Je n’aurais jamais pensé être touchée par ce sujet. Les animaux n’avaient jamais été au centre de mes préoccupations par le passé. Mais depuis que je suis devenue mère, ce sujet me bouleverse : j’ai l’intime conviction qu’une vie est une vie et qu’elle mérite d’être respectée. Au fond, c’est peut-être ce que j’aime le plus : déconstruire une habitude sociale, ouvrir les yeux, questionner la norme et découvrir qu’un autre chemin est possible.